Tribune libre : une législation inspirée…

Tiré de notre journal numéro 61 de juillet 2009, cette tribune libre de Daniel Rachline.

Avant de devenir ministre, M. Estrosi a déposé un amendement à l’Assemblée, examiné à partir du 23 juin.

Il concerne les “bandes”. Le simple fait d’appartenir à une bande sera désormais un délit. On ne poursuivra plus la culpabilité mais la dangerosité !! On entre dans le domaine de la responsabilité collective et non plus dans celui de la responsabilité individuelle plus difficile à établir. Le texte reprend un article du code pénal définissant “l’association de malfaiteurs”. La “bande” sera donc désormais assimilable à une “association de petits malfaiteurs”. Il ne s’agit plus de délinquance, (si tant est que le fait d’appartenir à une bande, implique que l’on soit un délinquant) mais de grand banditisme.

Le Monde [voir ci-dessous] rappelle que cette notion de d’internement de sûreté sur le seul critère de dangerosité a été introduite par les nazis en 1933. Une formidable source d’inspiration pour le législateur.

Il y a de quoi se réjouir… Bravo!

— Daniel Rachline

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« Le projet Estrosi sur les bandes, un nouveau recul des libertés, par Franck Johannès » parue dans LE MONDE | 23.06.09 | 13h36

La proposition de loi sur les bandes, examinée à partir de mardi 23 juin à l’Assemblée nationale, s’apprête à nouveau, sous des dehors anodins, à entériner un recul sévère des libertés. Personne ne conteste que les bandes posent problème – les bandes des banlieues, le sous-titrage n’est même plus nécessaire tant ces jeunes sont devenus les nouvelles classes dangereuses. Même si le phénomène n’est vraiment pas nouveau, les affrontements réguliers entre quartiers sont d’abord redoutables pour les jeunes eux-mêmes, pour « les victimes innocentes » ensuite, comme le dit gentiment la proposition de loi, pour les biens ou l’ordre public.

Christian Estrosi, le député UMP et maire de Nice qui a déposé la proposition, exécute explicitement une commande du président de la République. Il s’appuie sur un rapport discutable des anciens renseignements généraux, qui assure que 2 453 individus forment le noyau dur de 222 bandes en France, réparties à 79 % en Ile-de-France. La précision des chiffres n’a évidemment aucun sens ; les alliances dans les quartiers sont par essence mouvantes et on n’adhère pas à une bande comme au Rotary de Nice.

Le texte de la proposition est lui-même bancal, faute de pouvoir définir ce qu’est une bande : « Le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Les mauvais esprits relèveront que la peine est exactement trois fois supérieure à la fraude électorale, qui ne vise, elle, que les politiques. Le problème est ailleurs : il s’agit d’un texte préventif, et revendiqué comme tel. La police doit pouvoir interpeller un groupe qui s’apprête à commettre des violences avant qu’elles ne soient commises. En s’appuyant sur quels « faits matériels » ? M. Estrosi, lors de la présentation de son texte le 9 juin, n’avait pas la réponse. « Le simple fait d’appartenir à une bande sera désormais un délit, a expliqué le député UMP. On est dans le domaine d’une responsabilité collective qui n’existait pas jusqu’ici, alors qu’il est très difficile d’établir une responsabilité individuelle. »

Le texte reprend en fait mot pour mot l’article 450-1 du code pénal qui définit « l’association de malfaiteurs », utilisée contre le grand banditisme et surtout contre le terrorisme. L’appartenance à une bande sera donc comparable à une « association de petits malfaiteurs », un cran au-dessous.

C’est en cela que le texte de M. Estrosi est redoutable. Au nom de la lutte contre le terrorisme ont été acceptées des mesures dérogatoires au droit commun : l’heure était grave, une entorse aux libertés pouvait, pensait-on, se justifier. Mais une fois voté, ce droit d’exception censé n’être que transitoire s’installe durablement : aux Etats-Unis, la plupart des dispositions du Patriot Act, adopté au lendemain des attentats du 11-Septembre, ont été pérennisées, les autres prorogées jusqu’en 2010.

Les mesures contre le terrorisme se banalisent ensuite et envahissent l’ensemble du champ pénal : la proposition de M. Estrosi en est la démonstration éclatante. « L’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » devient désormais applicable aux jeunes, voire aux enfants puisque, selon le député lui-même, les bandes sont constituées pour moitié de mineurs.

Il y a plus grave. On ne poursuit désormais plus la culpabilité mais « la dangerosité ». Ce n’est certes pas une première. Le Parlement a voté sans sourciller le 25 février 2008 une loi incroyable, en rupture totale avec la tradition pénale. La loi sur la rétention permet de maintenir indéfiniment en détention une personne qui a purgé sa peine, sur le seul critère de sa « dangerosité ». L’Allemagne avait montré la voie. « L’internement de sûreté a été introduit en Allemagne par une loi de 1933, expliquait le 20 janvier Mireille Delmas-Marty dans sa leçon inaugurale au Collège de France. C’est l’une des rares institutions de la période nazie qui subsiste encore. Il semble qu’elle ait servi un peu de modèle au législateur français. »

La proposition de loi sur les bandes s’inscrit dans ce sillage : la dangerosité a pris le pas sur la culpabilité, la mesure de sûreté sur la peine. Si l’accusé est présumé innocent et bénéficie du doute, la personne dangereuse est, elle, présumée dangereuse, il ne s’agit que de la mettre hors d’état de nuire. « La peine est un droit pour le criminel lui-même, disait Hegel, car en le punissant on l’honore comme un être raisonnable. » A l’inverse, « la prédiction de la dangerosité » est la négation du libre arbitre, qui fonde pourtant la responsabilité pénale.

Ce texte est aussi le dix-neuvième sur la sécurité voté depuis 2001. Cet emballement législatif, qui est d’abord un aveu d’impuissance, repose sur une illusion : personne ne pourra jamais éradiquer la violence criminelle. Toutes ces lois, parfois très peu appliquées, ne sont que des messages de sympathie envoyés à l’électorat, et le droit s’efface devant la radicalisation du contrôle social. Comme le résumait Robert Badinter dans Le Monde lors du vote de la loi sur la rétention, « nous sommes dans une période sombre pour notre justice ».

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