La mortalité et la morbidité maternelles déclarées atteintes graves aux droits humains

Entretien d’AWID (retrouver les liens pertinents sur l’article d’origine) :

Le 17 juin 2009, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution dans laquelle il reconnaît que la mortalité et la morbidité maternelles constituent des atteintes graves aux droits humains. Ximena Andión Ibañez, Directrice pour le plaidoyer international du Centre pour les droits reproductifs basé à New York et l’une des principales instigatrices de cette résolution, s’est entretenue avec Masum Momaya à propos de cette résolution et de ses implications.

L’Organisation mondiale de la santé définit la mort maternelle comme le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelles qu’en soient la durée et la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais qui n’est ni accidentelle, ni fortuite. [1]

Plus de 1500 femmes et jeunes filles meurent quotidiennement de complications associées à la grossesse et à l’accouchement, ce qui représente environ 550 000 décès par an. [2]

99 % des décès maternels dans le monde se produisent dans les pays en développement où souvent les femmes ne sont pas en mesure de décider si, quand et avec qui elles vont se marier; où elles peuvent être forcées à se marier très jeunes et avoir des enfants « trop tôt et trop souvent. » Tous ces facteurs, conjugués au manque d’accès aux méthodes de planification familiale de base nécessaire pour pouvoir retarder, espacer ou limiter les grossesses, à des avortements médicalisés et à des soins obstétriques d’urgence, contribuent à ces décès et à ces problèmes de santé chez les femmes. [3]

Ximena Andión Ibañez du Centre pour les droits reproductifs nous fait part de son opinion sur cet important constat.

Malgré la réalisation de nombreuses campagnes, peu de progrès ont été accomplis dans la réduction de la mortalité et de la morbidité maternelles (MMM) au cours des dernières décennies. Comment expliquer cette situation?

D’une part, les gouvernements n’ont pas mis l’accent sur l’élimination de la mortalité maternelle dans leurs programmes de santé publique. On constate donc un manque de volonté politique qui se reflète dans la pénurie de ressources humaines et financières ainsi que de mécanismes de suivi et de responsabilisation pour attaquer le problème.

D’autre part, les programmes et les politiques mis en œuvre par le gouvernement pour combattre la MMM sont essentiellement centrés sur les aspects médicaux, alors qu’une approche uniquement médicale se révèle inefficace. La MMM est associée à une série de facteurs culturels et sociaux économiques tels que l’inégalité entre les sexes et la violence faite aux femmes auxquels il faut apporter une solution pour pouvoir combattre la MMM de façon efficace.

La coalition de groupes qui travaillent au sein du Conseil des droits de l’homme a affirmé que, malgré l’existence de documents consensuels importants des Nations unies (par exemple, le Programme d’action de Beijing) qui soulignent la nécessité de redoubler d’efforts pour promouvoir la santé et les droits des femmes et des jeunes filles, il a fallu pratiquement deux décennies « pour que le principal organe politique des droits de l’homme des Nations Unies adopte cette importante décision. » Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour adopter cette résolution?

Beaucoup considèrent encore la MMM comme une « malheureuse réalité » ou, dans le meilleur des cas, comme un simple « problème de développement » et non pas comme une question de droits humains. Par conséquent, convaincre les états membres du Conseil d’affirmer que les femmes ont le droit de survivre à la grossesse et l’accouchement relève de la prouesse.

En quoi est-il si important de reconnaître cette situation comme une question urgente de droits humains?

Cette reconnaissance est importante pour de multiples raisons. Tout d’abord, parce que ce texte reconnaît que la mortalité et la morbidité maternelles évitables constituent une violation des droits humains des femmes à la vie, à la santé, à l’égalité et à la non-discrimination. La MMM est désormais reconnue comme une atteinte grave aux droits humains au même titre que la torture et les disparitions. Les gouvernements sont donc dans l’obligation de prendre des mesures efficaces pour venir à bout de la mortalité et de la morbidité maternelles évitables.

Le texte de la résolution souligne qu’une approche basée sur les droits humains dans le but de réduire la MMM est plus efficace et durable. Que signifie ceci et quelles en sont les implications?

En adoptant une approche basée sur les droits humains, les praticiens et les responsables de la formulation de politiques ne se centrent pas seulement sur les causes médicales mais aussi sur les facteurs sociaux et économiques liés à l’inégalité entre les sexes.

Cette approche permet également de mettre l’accent à la fois sur les résultats et sur le processus, ce qui implique d’axer les mesures à prendre sur l’égalité et le bien-être des femmes et de les traiter comme détentrices de droits. Les femmes vont donc participer à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des programmes et des politiques, ce qui leur donne une représentation et une appropriation.

Une approche basée sur les droits humains exige également d’accorder une attention spéciale aux groupes marginalisés de femmes et d’appréhender les formes multiples de discrimination dont elles sont victimes dans l’accès aux services de santé pour, en conséquence, veiller à la prestation de services de santé de qualité, à un prix abordable et adaptés du point de vue culturel.

Finalement, cette approche garantit l’existence de mécanismes de suivi et de responsabilisation grâce auxquels les gouvernements et d’autres agents peuvent être tenus responsables s’ils sont incapables de garantir les droits humains des femmes à survivre à la grossesse et à l’accouchement.

Sur quels types de services spécifiques pourrait déboucher cette résolution?

Idéalement, il est essentiel de garantir l’accès à des soins obstétriques d’urgence de qualité, à un personnel compétent au moment de l’accouchement; à des informations et des conseils confidentiels en matière de santé sexuelle et reproductive; à des services de planification familiale, y compris un vaste éventail de méthodes de contraception; ainsi que l’accès à l’avortement médicalisé.

D’une manière générale, il est également important d’améliorer l’accès à des facteurs sous-jacents qui interviennent dans la santé, tels que l’eau, l’assainissement, l’alimentation et l’éducation.

Les questions de l’avortement médicalisé, de la contraception et de la planification familiale ne sont pas mentionnées de façon spécifique dans le document adopté par le Conseil des droits de l’homme. Mais les références aux différentes déclarations gouvernementales existantes impliquent-elles qu’il est notamment demandé aux états d’assurer l’accès à des services d’avortement médicalisé, du moins lorsque celui-ci est légal?

La résolution demande aux états de combattre TOUTES les causes évitables de mortalité maternelle. L’une des causes de la mortalité maternelle est l’avortement non médicalisé; par conséquent les états doivent adopter des mesures visant à prévenir la mortalité et la morbidité résultant de ce type d’avortements. Pour y parvenir, les gouvernements peuvent garantir l’accès à l’avortement médicalisé là où celui-ci est légal et aussi réviser leur législation en matière d’avortement de façon à autoriser celui-ci, du moins dans certaines circonstances.

À votre avis, que signifie la résolution pour les organisations et les cliniques qui sont au service des femmes à l’échelon communautaire? Incombe-t-il maintenant aux organisations de la société civile de veiller à ce que les gouvernements respectent leurs engagements? Quelles sont vos suggestions pour qu’elles puissent accomplir cette tâche?

En premier lieu, cette résolution peut être utilisée comme base pour susciter un dialogue à l’échelon communautaire entre les autorités, les responsables des politiques, les prestataires de soins de santé et les membres de la communauté.

Je pense également que cette résolution est un instrument très puissant de plaidoyer. Pour en faire un instrument réel de changement, il est toutefois important que les organisations de la société civile se servent de cette résolution pour demander à leurs gouvernements d’adopter des actions concrètes pour améliorer la situation de la santé maternelle.

La première chose à faire est de savoir si leurs gouvernements ont coparrainé la résolution ou pas (voir note ci-après): s’ils l’ont coparrainée, les féliciter de leur volonté politique et s’ils ne l’ont pas fait, les rendre responsables. Les organisations peuvent demander aux ministres de la santé quelles sont les mesures qui vont être prises pour appliquer la résolution, par exemple combien d’argent sera alloué aux services de santé maternelle ou comment la participation de la communauté va-t-elle être garantie dans l’élaboration de programmes et de politique pour combattre la MMM.

Ressources:

Télécharger le texte complet de la Résolution
En savoir plus à propos de l’initiative internationale sur la mortalité maternelle et les droits humains
Lire les discours prononcés à une réunion d’experts tenue le 5 juin sur la mortalité maternelle
Adhérer à la page consacrée aux causes de la mortalité maternellesur Facebook du Centre pour les droits reproductif
Comprendre l’incidence de la crise économique mondiale sur les services de planification familiale

Note:

Les états ci-après ont coparrainé la résolution: Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Colombie, Congo, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne, Équateur, Estonie, Etats-Unis d’Amérique, Finlande, France, Grèce, Guatemala, Honduras, Irlande, Israël, Italie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Maldives, Mali, Malte, Mexique, Monaco, Népal, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Portugal, République Dominicaine, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Rwanda, Slovénie, Sri Lanka, Suède, Suisse, Thaïlande, Turquie et Ukraine. [4]

Références:

[1] http://www.rhrealitycheck.org/blog/2009/06/18/un-human-rights-council-recognizes-maternal-death-and-illness-human-rights-violations

[2] http://www.who.int/pmnch/media/membernews/2009/20090617_humanrightsresolution/en/index.html

[3] http://www.rhrealitycheck.org/blog/2009/06/18/un-human-rights-council-recognizes-maternal-death-and-illness-human-rights-violations

[4] http://www.reproductiverights.org/en/document/preventable-maternal-mortality-and-morbidity-and-human-rights

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